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2022, 15 novembre : Vivantes Translations

Blanche Turck

Vivantes translations.  Réflexions sur les glissements sémiotiques dans les sciences humaines

Le terme translation désigne, dans son sens premier, le fait de transporter, de déplacer, mais aussi le passage d’un état à un autre. En français (translation), en anglais (translation) ou en espagnol (tra(n)slación), le mot se prête à peine aux variations accentuelles alors que son amplitude sémantique évolue d’un espace linguistique à un autre. Marqueur d’un transport, d’un transfert, le TLFi le présente comme un synonyme possible de « traduction » alors que ce terme exprime aussi le procédé par lequel « on transporte quelque chose ou quelqu'un d'un lieu à un autre ». Dans l’article De la translation à la traduction [1], Antoine Berman nous rappelle l'historicité du mot « translation », soit un certain rapport au texte dont la traduction n’était qu’une des multiples facettes.

Quittant le seul domaine de l’étude textuelle, nous proposons d’étudier quelques-uns de ces transports. Comment comprendre la distance, qui préside à toute translation ? Comment la reconnaître, la décrire, l’appréhender ? Comment, pour prolonger les réflexions de Vinciane Despret pour qui la distance « n’est pas une mesure, mais une intensité, un rythme » [2], respecter sa densité et la peupler ? Si nous envisageons ces translations comme des processus « vivants », c’est parce que nous ne les imaginons pas dissociées des agents qui les permettent, individus ou collectifs, ni de celles et ceux qui les reçoivent et les perçoivent. La translation tend à faciliter la manière dont un dispositif s'appréhende, il serait idéaliste et réducteur de penser qu'il existe des équivalences parfaites tant dans l'univers de la traduction des œuvres littéraires que lorsqu’il s’agit d’établir un lien entre deux matières aux antipodes (par exemple, des images en mouvement et un contenu sonore). Cependant, la possible réalisation des divers procédés pose la question du comment. Si les modi operandi sont d’une importance première, les effets découlant des choix esthétiques le sont encore plus. Nous sommes ainsi confrontés aux manières de faire, par exemple : comment rendre compte de l'envol d'un oiseau en mettant en adéquation la matière graphique d’un côté et le paradigme aural de l’autre (c'est-à-dire ce qui se transmet au travers d'une production puis d'une réception sonore) ? Dans ce cas précis, la notion de glissement illustre un mouvement qui entraîne une complémentarité et met l’immersion au service du spectateur.

La translation ne peut se passer d'un questionnement portant sur le point d'origine de ce mouvement, et le rapport entre le point de départ et le point d'arrivée. En s'inscrivant dans la démarche de déconstruction derridienne, on ne peut que relever la nature problématique de la construction du logos occidental qui instaurerait le signifié comme présence préexistante au signifiant : présence pleine et vraie, antérieure au signifiant, qui garantirait elle-même la légitimité du signe. Ainsi, John Brian Harley se réapproprie ces questions dans son article Deconstructing the Map (1990) en interrogeant la carte, production du cartographe, dans son rapport au réel qu'elle traduit sous une forme graphique scientifiquement normée. Harley inscrit son entreprise de déconstruction dans la double critique derridienne et foucaldienne : la carte est bien un texte, au sens d'un outil rhétorique ; discours qui produit les propres conditions de sa scientificité, et en cela énonce de façon performative un savoir- pouvoir. La carte est un processus de translation du réel vers une représentation graphique panoptique hiérarchisée. Ce processus de translation a été naturalisée au fil des siècles par les cartographes occidentaux : la carte se référerait naturellement au réel qu'elle représente, et cette naturalisation, soutenue par un certain nombre de règles scientifiques, masquerait sa nature véritablement métaphorique (« The metaphor has changed. The map has attempted to purge itself of ambiguity and alternative possibility » Harley, 1990). La cartographie européenne n'est qu'une possibilité de translation du réel parmi d'autres ; et pourtant, elle a su s'imposer comme seule translation entretenant un rapport de vérité au réel. Ces questionnements, appliqués ici à la cartographie, pourraient se révéler également extrêmement féconds une fois appliqués à des objets d’autres disciplines, notamment littéraires.

Cette initiative vise à rapprocher les différentes pistes de recherche des intervenant·es afin de croiser les regards sur ces glissements. Les communications aborderont : 

1. Les modalités de la translation, saisie dans l'incroyable diversité des déplacements. 

2. Les enjeux éthiques, philosophiques, politiques de ces phénomènes de translation (récemment, l'exemple du journal russe d'opposition Novaïa Gazeta qui annonçait au lendemain de la déclaration de guerre sa prochaine édition en version bilingue russe/ukrainien).

3. Les choix d'équivalences lors du processus de remédiatisation (ou comment se fait la recherche d’équivalences).

4. Les liens que toute translation, que Berman associe étroitement à la communication, lie d’emblée avec sa réception.

5. Les échecs et violences inhérents au processus de translation. Il s’agit de rester sensible aux phénomènes de « translatio imperii » [3], mais également à la possible « négativité active »[4] de la translation.

[1] Antoine Berman, « De la translation à la traduction », Traduction et culture(s), Vol. 1, n° 1, 1988, p. 23–40. Consulté le 12/09/2021. URL : https://doi.org/10.7202/037002ar
[2] Vinciane Despret, Habiter en oiseau, « Surpeupler », Arles, France, Actes Sud, « Mondes sauvages », 2019, p. 97. [3] Tiphaine Samoyault, Traduction et violence, « Les antagonismes de la traduction », Paris, France, Seuil, 2020, p.28.
[4] Ibid., « Seuls, chacun dans sa langue », p. 10.

Organisation : Blanche Turck (Plurielles), Raël Mickaël Bénéteau (Climas) et Caroline Delattre (Passages). 

Intervenantes : Blanche Turck, Nina Eldridge, Rose Borel, Solène Reymond, Raël Mickaël Bénéteau, Amélie Lefranc et Caroline Delattre. 

Dans le cadre des initiatives doctorantes, cette journée d'étude peut être validée pour les formations de l'école doctorale.

Ci-joint, vous trouverez l'argumentaire complet du projet ainsi que le programme de la journée.

 Document(s) associé(s)

 Argumentaire complet du projet
 Programme de la journée Vivantes Translations

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