Master REEL
Séminaire commun LaPRIL-Littératures et mondes
2024-2025, semestre 2, le mercredi de 15h30 à 17h30, Salle i305
Responsables : Jean-Paul Engélibert et Valéry Hugotte
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Le séminaire s’intéressera aux usages et aux significations du déchet en littérature et dans les arts sur une longue période allant de l’Antiquité au XXIe siècle. Le déchet attire l’attention de la critique aujourd’hui, comme en attestent les colloques de Tours (« Au-delà du déchet, littérature et sciences sociales en dialogue », novembre 2019) et de Lausanne (« Littérature et culture du déchet », septembre 2023) ainsi que l’Université d’Été de l’Association Jan Hus à Košice (Slovaquie) en août 2024, « Matières et choses inutiles : détritus, déchets, ordures, restes, fragments… ». Trois pistes pourront être privilégiées. Des nugae latines au junk contemporain avec toutes ses connotations (pacotille, camelote, bric-à-brac, ordure, déchet…), on explorera les manières dont écrivains et artistes se sont intéressés au rebut.
Le déchet comme sujet ou métaphore permettant de dire un certain rapport à l’humain
Ce pourrait être l’impératrice Messaline, fuyant les foudres de son époux, sur un charriot rempli d’immondices, au moment d’être assassinée ou Gregor Samsa dont on se débarrasse finalement comme d’un déchet encombrant, ou le poème de Ponge, « Le cageot », où se dit de manière assez claire le sort de l’homme jeté à la rue après avoir servi. Cette perspective innerve le roman et le récit contemporains de J.G. Ballard (Concrete Island, 1974) à Lucie Taieb (Freshkills : recycler la terre, 2019), comme la culture populaire (série The Leftovers, 2014-2017).
Le déchet comme matériau
L’art romain s’est intéressé aux déchets alimentaires sous forme de scènes de « sols non balayés ». Un exemple célèbre en est la mosaïque conçue au IIe siècle av. J.-C. par Sôsos de Pergame, connue sous le nom d’asarotos oïkos, qui représentait les restes d’un festin en trompe-l’œil et que Pline l’Ancien a décrit. L’auteur évoque les artistes qui ont pu connaître la gloire grâce au traitement de sujets humbles, insignifiants, comme les restes d’un repas. La mosaïque qui recouvre le sol du triclinium — la salle à manger —, représentant les débris d’un repas, est destinée à recevoir les débris du repas réel. Quelles significations accorder à ces déchets éparpillés ? Déchets que nous retrouvons dans la scénographie orchestrée par le richissime affranchi Trimalchion dans le Satiricon de Pétrone (1er siècle ap. J.-C.) ; et aujourd’hui dans les photographies de Laura Letinsky, « natures mortes » qui véhiculent la sensation de perte, de vide : les déchets sont ce qui reste lorsque nous sommes partis... Au XXe siècle, les exemples les plus flagrants pourraient être empruntés au pop’art, à certaines sculptures de Miró constituées d’objets trouvés avant de donner forme au bronze, ou à certains tableaux de Tàpies intégrant vieux draps ou objets divers – le déchet est couramment utilisé depuis Dada selon des modalités qui se sont diversifiées pendant tout le siècle (Piero Manzoni, Hermann Nitsch, etc.). En musique, l’intégration des bruits à la composition a accompagné ce mouvement. Mais la littérature a sans doute été pionnière. Lautréamont pratique le « collage » et intègre des textes de différentes origines – publicitaires, scientifiques, didactiques – à son écriture. Et bien sûr, sur un plan plus métaphorique, serait à considérer l’image du chiffonnier qui vient, notamment chez le Baudelaire des Fleurs du mal ou des Paradis artificiels, dire le rapport à la trouvaille. Dans une perspective politique, l’image du chiffonnier vient aussi chez Benjamin figurer le chercheur qui sauve de l'oubli les déchets du progrès et les maintient dans l’existence malgré leur fragilité.
Le déchet comme métaphore du texte même, revendiquant son indignité pour mieux lutter contre l’idéalisation
La hiérarchie des genres littéraires, héritée de la Poétique d’Aristote, a conduit certains écrivains latins, notamment le poète Catulle et, à sa suite, les poètes élégiaques, à développer ou, en tout cas, à postuler un sentiment d’infériorité par rapport à la grande poésie — l’épopée — qu’ils ont exprimé, non par la métaphore du déchet, mais par le terme nugae, « bagatelles », indiquant ainsi le peu de valeur qu’ils prétendaient accorder à leurs vers. Ovide s’amusera même à comparer l’écriture élégiaque à une femme boiteuse… Les genres « mineurs », les genres « marginaux » comme celui de l’éloge paradoxal, pourront faire l’objet d’une enquête. Dans une lettre à Aurelius datée de 139 et introduisant ses éloges de la fumée et de la poussière, le rhéteur Fronton définit le but de l’éloge paradoxal : divertir le lecteur par le contraste entre la splendeur de l’argumentation brillante de rhétorique et l’insignifiance d’un sujet vain. Plus près de nous, Georges Perros utilisait le terme de déchet pour désigner ses « papiers collés », parfois notés, écrivait-il, sur « papier hygiénique »… On raconte qu’il aurait jeté (ou déposé ? et dans quel but ?) des cahiers dans une décharge et que, contacté un peu plus tard par un inconnu qui, les ayant trouvés alors qu’il y déposait des ordures, et lus, il aurait engagé une correspondance avec celui-ci… L’anecdote, qu’elle soit réelle ou inventée, renverse l’image du chiffonnier, ici lecteur paradoxalement « idéal », posant les questions du rapport entre l’auteur et son œuvre, de l’intentionnalité (de l’auteur), de l’activité herméneutique (du lecteur) et bien sûr de la nature et du statut de l’œuvre.
Sabine Barles, L’Invention des déchets urbains, Champ Vallon (2005)
Gilles Bonnet (sous la direction de), La Chanson populittéraire, Editions Kimé (2013)
Jérémie Cavé, Alizée De Pin, Yann Philippe Tastevin, La Civilisation du déchet, Les Arènes (2024)
Jérémy Cavé, La Ruée vers l’ordure. Conflits dans les mines urbaines de déchets, Presses Universitaires de Rennes (2015)
Antoine Compagnon, Les Chiffonniers de Paris, Gallimard (2017)
François Dagognet, Des détritus, des déchets, de l'abject. Une philosophie écologique, Les Empêcheurs de penser en rond (1997)
Mary Douglas, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, La Découverte (1966)
Jacques Dupin, textes sur l’art ; en particulier pour sa monographie de Miró : Miró, Flammarion (réédition, 2012), et ses textes sur Tàpies : Matière d’infini, Farrago (2005)
Jean Gouhier, Rudologie. Science de la poubelle, Cahiers du groupe d’études déchets et espace géographique, Université du Maine (1988)
Raphaëlle Guidée, La Ville d'après. Detroit, une enquête narrative, Flammarion, 2024
Cyrille Harpet, Du déchet : philosophie des immondices, L’Harmattan (1999)
Valéry Hugotte et Jean-Christophe Valtat (sous la direction de), Modernités du suranné, Presses Universitaires Blaise Pascal (2006)
Max Liboiron, Polluer, c’est coloniser, éditions Amsterdam (2024)
Eberhard Rothers, « Kurt Schwitters et les années vingt à Hanovre », in Paris-Berlin, Editions du Centre Pompidou (1992)
Les Années Pop, catalogue d’exposition, Editions du Centre Pompidou (2001)
Quelques œuvres littéraires
J. G. Ballard, La Trilogie debéton, Gallimard, « folio » (2014)
Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, Garnier-Flammarion (2017), Les Paradis artificiels (pour l’évocation du chiffonnier), Garnier-Flammarion (2021)
Louis Calaferte, Requiem des innocents, Gallimard, « folio » (2000)
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Garnier-Flammarion (2018)
Don DeLillo, Outremonde, Actes Sud, « babel » (1999)
Jacques Dupin, notamment son Lai de la serpillière dans Chansons troglodytes, Fata Morgana (1989)
Victor Hugo, Les Misérables (chapitres réunis dans le livre : L’Intestin de Léviathan), Livre de Poche classique, tome II (1998)
Mathieu Larnaudie, Trash vortex, Actes sud (2024)
Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Garnier-Flammarion (2021)
Eugene Marten, Ordure, Quidam (2022) (roman)
Georges Perros, Papiers collés, in Œuvres, Gallimard, « Quarto » (2017)
Guillaume Poix, Les Fils conducteurs, Verticales, 2017 (roman)
Francis Ponge, Le Parti pris des choses, Gallimard, « Poésie » (1967)
Michel Simonet, Une rose et un balai, Faim de Siècle, 2015 (récit)
Lucie Taieb, Freshkills : recycler la terre, La contre-allée, 2019 (essai-récit)
Lucie Taieb, La Mer intérieure (récit-essai), Flammarion, 2024
Michel Tournier, Les Météores, Gallimard, « folio » (1977)
Jules Vallès, Le Tableau de Paris (notamment pour le texte : « L’Assommoir des chiffonniers »), Berg International Editeurs (2007)
Sites Web :
Vacarme, n° 79-80-81-84 : plusieurs articles sur le déchet dont celui-ci : https://vacarme.org/article3072.html
Hors littérature, voir aussi le travail de la géographe Bénédicte Florin, notamment dans le livre collectif Que faire des restes ? (2017), mais toute sa bibliographie est accessible ici : http://benedicte-florin.fr/ouvrages
le réseau de recherche SUD : https://societes-urbaines-et-dechets.org/les-publications
et le réseau discard studies : https://discardstudies.com/
15 janvier : Jean-Paul Engélibert et Géraldine Puccini, introduction 1
22 janvier : Valéry Hugotte, introduction 2 : «They're junk : sympathiques déchets ». Le déchet chez Lautréamont et dans différentes manifestations de la « pop culture ».
5 février : Didier Coste, université Bordeaux Montaigne, Plurielles, « Fonctions esthétiques du déchet dans la démarche réaliste »
12 février : Benoîte Turcotte-Tremblay, Université de Montréal, « Ausculter les espaces pollués : revisibilisation des déchets dans Freshkills (2019), Geographies of Solitude (2022) et Vivre en arsenic (2024) ».
19 février :
26 février : Fabienne Marié-Liger, université Bordeaux Montaigne, Plurielles, « La « photo de famille », oubliée et ressuscitée par l’écriture littéraire »
12 mars : Stéphane Vanderhaeghe, université Paris 8, « Ordure, d’Eugene Marten »
19 mars :
26 mars : Lucie Taieb, écrivain. Intervention sur ses livres Freshkills et La mer intérieure.
2 avril : Agnès Lhermitte, université Bordeaux Montaigne, Plurielles, « Mœurs des diurnales (1903) de Marcel Schwob : un pot-pourri énigmatique »
9 avril : Florence Corrado, université Bordeaux Montaigne, Plurielles, « L’homme-déchet. Poésie et Ethique chez Tadeusz Różewicz »
16 avril : Florence Plet, université Bordeaux Montaigne, Plurielles, « Bric-à-brac et Trucs-en-vrac : Gotlib en majesté »
Jean-Paul Engélibert, Valéry Hugotte et Géraldine Puccini
Valéry Hugotte
Didier Coste
Benoîte Turcotte-Tremblay, Université de Montréal
Etienne Germe PUIS Caroline Dumas de Rauly
Fabienne Marié-Liger
Stéphane Vanderhaeghe, , université Paris 8
Claire Marché PUIS Kenza Sib
Lucie Taieb, écrivain
Agnès Lhermitte
Florence Corrado
Florence Plet