Appel à contributions
Écrire l’esclavage dans la littérature pour la jeunesse (2) - Histoire, littérature, enseignement
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Le présent projet d’ouvrage collectif s’inscrit à la suite du volume publié en 2020 aux Presses universitaires de Bordeaux, Écrire l’esclavage dans la littérature pour la jeunesse (coll. « Modernités », n° 45, série « Littérature, enseignement, recherche[1] »). Ce second volume a vocation à faire l’objet d’une publication dans la même collection, en 2024. Nous poursuivons ainsi notre dialogue entre littérature et histoire pour étudier les récits d’esclavage adressés à la jeunesse. Le point de départ de notre réflexion s’ancre dans un constat : l’impact manifeste sur l’édition pour la jeunesse de la promulgation de la Loi Taubira qui institue en 2001 l’esclavage comme crime contre l’humanité et prescrit son enseignement dans les classes. En effet, les trois quarts du corpus réuni – plus d’une centaine d’ouvrages pour la jeunesse publiés en France depuis un demi-siècle, parfois en traduction – sont parus après cette date et le rythme des publications ne cesse d’augmenter. Pour ne citer que quelques titres récents, des auteurs appartenant à la frange la mieux légitimée du domaine abordent désormais la question, tel Timothée de Fombelle qui lance en 2020 sa trilogie « d’aventure sur le combat de l’esclavage et de l’abolition » (Alma, ill. François Place, Gallimard jeunesse) ; de même, Jean-Luc Marcastel, écrivain reconnu de romans fantastiques et de fantasy, publie Libertalia, (ill. Cécile et Lionel Marty, Gulf Stream éditeur, 2020), un roman historique qui croise les destins de trois jeunes Nantais confrontés au commerce triangulaire » ; certains auteurs de littérature tout public prennent l’initiative de parler de l’esclavage aux enfants, comme Paula Jacques (Blue Pearl, Gallimard jeunesse, 2020) ; les traductions se multiplient, souvent en provenance des États-Unis, comme La longue route de Little Charlie, de Christopher Paul Curtis (trad. F. Pressmann, L’École des loisirs, 2021), mais aussi d’ailleurs comme Dandara et les esclaves libres de Jarid Arraes (trad. du brésilien P. Anacaona, Anacaona éditions, 2018) ; on ne compte plus les documentaires – narrativisés, habilement fictionnalisés et présentés sous le format de l’album – qui visent à informer les jeunes lecteurs sur cette page douloureuse de l’histoire, par exemple Harriet Tubman, une héroïne américaine, de Fleur Daugey (ill. Olivier Charpentier, Actes sud junior, 2020) et L’incroyable histoire de l’Underground Railroad de Jennifer Dalrymple (ill. Justine Brax, Albin Michel Jeunesse, 2021). Cette sensibilisation accrue à la question de l’esclavage dans les livres pour la jeunesse reflète celle qui s’affiche dans le contexte de ce début de XXIe siècle qui prête une attention soutenue aux minorités, se penche sur les non-dits de l’histoire et multiplie les actions pour mieux faire connaître et comprendre les tragédies du passé. C’est bien en lien avec l’histoire de l’esclavage que Pap Ndiaye publie en 2008 La Condition noire, que les villes de la façade atlantique enrichies par les traites et l’esclavage, se dotent de musées dédiés et érigent des statues d’esclaves dans l’espace public[2] ; la ville de Nantes crée la Fondation pour la mémoire de l’esclavage en 2019 et, la même année, le Musée d’Orsay met en valeur la présence des esclaves et de leurs descendants dans la peinture française depuis le XIXe siècle avec l’exposition consacrée au Modèle noir de Géricault à Matisse. Dans le même ordre d’idées, on signalera l’exposition « Slavernij » (« Esclavage ») qui s’est tenue au Rijksmuseum d’Amsterdam en 2021 : consacrée au passé colonial des Pays-Bas, elle dénonçait les exactions inhérentes à l’esclavage à travers l’histoire de dix personnages. Par ailleurs, sont parues deux sommes : Mémoire noire. Histoire de l’esclavage : Bordeaux, La Rochelle, Rochefort, Bayonne[3], sous la direction de Caroline Le Mao (Mollat, 2020) et Les Mondes de l’esclavage. Une histoire comparée qui propose, sous la direction de Paulin Ismard (Seuil, 2021) « une histoire inédite de l’esclavage depuis la Préhistoire jusqu’au présent[4] ».
Notre premier volume avait parcouru différentes pistes pour étudier les propositions éditoriales destinées au jeune lectorat face à la question vive de l’esclavage : la réception française des premiers récits d’esclavage américains – les authentiques récits d’esclaves et le grand roman abolitionniste, La Case de l’oncle Tom ; les procédés d’adaptation à l’usage des jeunes lecteurs ; le statut des personnages d’esclaves privés d’identité auxquels la littérature tente de redonner vie ; les genres littéraires convoqués, qui maintiennent diversement la balance entre fiction et documentaire dans un domaine qui tente à la fois d’instruire et de divertir ; le rôle des images qui prennent en charge la représentation de l’esclavage dans les genres graphiques. Bien des voies restent à explorer, autour d’autres corpus, non seulement en raison de la parution d’œuvres nouvelles, mais aussi pour mettre au jour nombre de titres anciens qui témoignent d’un autre regard sur l’histoire de l’esclavage. Il s’agit par-là de continuer à approfondir les thématiques et la poétique de ces récits propres à retenir aussi bien l’attention des littéraires et des historiens que celle des jeunes lecteurs.
Sans doute convient-il de soupeser la diversité des corpus et des choix éditoriaux en lien avec leur provenance pour tenter de cartographier l’histoire et la géographie de l’esclavage dans l’édition pour la jeunesse. Les titres publiés aux États-Unis, qui ont connu l’esclavage sur leur territoire, sont à la fois plus nombreux et depuis plus longtemps, comme le montre l’ouvrage de Paula T. Connoly (Slavery in American Children’s Literature (1790-2010), 2013). De même, l’édition pour la jeunesse publiée outremer s’engage régulièrement au service des problématiques liées à l’esclavage et à leur retentissement sur l’époque contemporaine. En France, la question a sans doute longtemps été tamisée par l’éloignement géographique, bien que certains auteurs aient pu se trouver parfois intimement concernés, comme l’analyse Michel Manson à propos de Julie Gouraud, fille d’une créole haïtienne, et autrice du roman Les deux enfants de Saint-Domingue (Hachette, « Bibliothèque rose illustrée », 1874). L’esclavage est en réalité omniprésent à l’arrière-plan des robinsonnades, genre littéraire proliférant dans le secteur jeunesse durant tout le XIXe siècle, et plus largement dans les romans d’aventure, par exemple dans Les aventures de Robert-Robert de Louis Desnoyers (1880). On peut même remonter jusqu’au roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1788), régulièrement adapté pour la jeunesse, dans lequel le personnage de l’esclave occupe une place non négligeable. Selon les lieux et les périodes, les études pourront adopter une démarche comparatiste ou se faire monographiques dans le cas de titres qui requièrent une attention ciblée. Seront pris en compte les enjeux historiques, littéraires et idéologiques des publications, en lien avec les trois disciplines dans lesquelles l’esclavage est enseigné à l’école : histoire, littérature et éducation civique.
Si nous suggérons ci-dessous quelques-uns des axes d’étude qui pourraient être envisagés, c’est sans prétention à l’exhaustivité. Toutes les propositions seront examinées avec soin si elles sont bien liées à l’histoire des traites négrières et de l’esclavage jusqu’aux abolitions au cours du XIXe siècle, et si les corpus étudiés relèvent bien du domaine de l’édition pour la jeunesse. Comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, les approches pourront être historiques, littéraires, et/ou didactiques. Pour indiquer quelques directions possibles, on peut suggérer :
Les propositions de contribution
D’une longueur de 400 mots, assorties d’un titre, d’un corpus d’étude et d’une brève bibliographie de leur auteur, elles seront transmises au plus tard le 15 septembre 2022, délai de rigueur, aux trois adresses suivantes :
christiane.connan-pintado@orange.fr
sylvie.lalague-dulac@u-bordeaux.fr
gersende.plissonneau@u-bordeaux.fr
Calendrier
15 avril 2022 Appel à propositions
15 septembre 2022 Date limite d’envoi des propositions
15 octobre 2022 Réponse du comité scientifique
15 avril 2023 Date limite de remise des articles
Été-automne 2023 Échanges avec les contributeurs
2024 Publication
Éléments de bibliographie
Connan-Pintado, Christiane, « Musiques du texte et de l’image. Chants d’esclaves dans l’album pour la jeunesse », dans K. Kunesova et al. (dir.), Musique et chant dans la littérature de jeunesse, Presses de l’université de Hradec Kralové, « Gaudeamus », 2018, p. 107-123.
Connan-Pintado, Christiane, Lalagüe-Dulac, Sylvie et Plissonneau, Gersende, « Fictions historiques pour la jeunesse, passages obligés, chemins singuliers. L’exemple complexe des récits d’esclavage », dans B. Louichon et S. Brehm (dir.), Fictions historiques pour la jeunesse en France et au Québec, 2016, p. 229-254.
Connan-Pintado, Christiane et Plissonneau, Gersende, « L’album historique ou le paradoxe d’une mémoire de l’esclavage. Perspectives littéraires et didactiques », Repères 48, « Fictions historiques à l’école et au collège en classe de français », M. Jaubert, S. Lalagüe-Dulac, B. Louichon (dir.), Lyon, IFE, 2013, p. 33-50.
Connoly, Paula T., Slavery in American Children’s Literature (1790-2010), Université of Iowa Press, 2013.
Franchini, Pauline, « De Ségou à Chiens fous dans la brousse, un exemple d’auto-réécriture », dans M. Mas et A.-M. Mercier-Faivre (dir.), Écrire pour la jeunesse et pour les adultes. D’un lectorat à l’autre, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 163-178.
Lalagüe-Dulac, Sylvie, « Romans historiques pour la jeunesse et construction de savoirs scolaires en histoire [cycle 3] », Éducation & didactique, 2017, vol.11, n° 1, p. 105-121.
Lalagüe-Dulac, Sylvie, « Histoire “enseignée”, histoire “savante” : comment identifier et nommer lors de l’étude de l’histoire de l’esclavage ? », dans S. Lalagüe-Dulac, P. Legris et Ch. Mercier (dir.). Didactique et Histoire. Des synergies complexes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Paideia », 2016, p. 116-117.
Louichon, Brigitte, « Le lecteur, l’histoire et l’Histoire dans "Deux graines de Cacao" » dans A. Vézier et S. Doussot (dir.), Les pratiques de récit pour penser les didactiques. Dialogue entre histoire et autres disciplines (français, mathématiques, sciences), Presses Universitaires de Rennes, « Paiedia », 2019, p. 55-64.
Magdelaine-Andrianjafritimo, Valérie, « Histoire et mémoire : variations autour de l’ancestralité et de la filiation dans les romans francophones réunionnais et mauriciens », Revue de littérature comparée, n° 318, 2006, p. 195-212.
Manson, Michel, « Julie Gouraud et Saint-Domingue : du roman familial au roman pour enfants », Strenæ [En ligne], 3 | 2012, https://doi.org/10.4000/strenae.517
Moussa Sarga (dir.), Littérature et esclavage XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Éditions Desjonquères, « L'esprit des lettres », 2010.
Ndiaye Pap, La Condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008.
Rogers, Raphael E., Representations of slavery in children's picture books: teaching and learning about slavery in K-12 classrooms, New York, Routledge, 2018.
Rossignol, Marie-Jeanne. « Un chantier inattendu : la collection ʺRécits d’esclavesʺ. Quelques questions méthodologiques et historiographiques », Revue française d’études américaines, vol. 151, no. 2, 2017, pp. 51-64.
Suremain (de) Marie-Albane, et Mesnard Éric (dir.), Enseigner les traites, les esclavages, les abolitions & leurs héritages, Paris, Khartala, 2021.
Comité scientifique
Christiane Connan-Pintado, Université de Bordeaux-INSPÉ/UR 24142 Plurielles
Pauline Franchini, Université de Bourgogne/ UR 4178 CPTC
Aldo Gennaï, Université de Montpellier/UR 3749 LIRDEF
Sylvie Lalagüe-Dulac, Université de Bordeaux-INSPÉ/UR 7441 Lab-E3D
Caroline Le Mao, Université de Bordeaux Montaigne/UR 2958 CEMMC/IUF
Marion Mas, Université Lyon 1-INSPE/ UR 5317 IHRIM
Éric Mesnard, UPEC-INSPÉ
Merveilles Léoncia Mouloungui, Université de Lorraine/UR ECRITURES 3943
Sarga Moussa, Université Sorbonne Nouvelle/UR 7172 THALIM/CNRS
Gersende Plissonneau, Université de Bordeaux-INSPÉ/UR 24142 Plurielles
Nicolas Rouvière, Université Grenoble-Alpes/UR 5316 Litt&Arts-CNRS
[1] Voir sur le site des Presses universitaires de Bordeaux : Écrire l'esclavage dans la littérature pour la jeunesse
https://books.openedition.org › pub
[2] Nous avions photographié, pour la première de couverture du volume 1, la statue de Modeste Testas, esclave de deux commerçants bordelais, qui a été inaugurée sur les quais de la Garonne à Bordeaux le 10 mai 2019.
[3] Voir le site de l’éditeur, https://www.mollat.com/livres/2473674/memoire-noire-histoire-de-l-esclavage-bordeaux-la-rochelle-rochefort-bayonne
[4] Voir le site de l’éditeur, https://www.seuil.com/ouvrage/les-mondes-de-l-esclavage-collectif/9782021388855.
À tous et toutes les chercheurs et chercheuses de Plurielles, nous souhaitons une lumineuse année 2022 !Que le lancement de notre équipe rayonne de vos découvertes.Sans oublier de vous garder tous et
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