La variation diatopique qui affecte la relation entre langues et espaces a une valeur socio-langagière forte, particulièrement en contexte urbain. C’est ainsi que les phénomènes de contacts linguistiques, les processus de catégorisation de l’espace, les pratiques discursives urbaines se sont constitués en champ de recherche de « l’urbanité langagière » (Bulot et Messaoudi 2003). Celui-ci est en relation directe avec la dynamique historique et culturelle qui se déploie à travers le temps en déposant des traces mémorielles en constante recomposition.
Partant du constat qu’en Afrique particulièrement et partout ailleurs dans l’espace francophone, le plurilinguisme urbain est une réalité vivace, la ville est ainsi le lieu par excellence de l’hétérogénéité et du métissage des langues aussi bien que celui d’une certaine normalisation et homogénéisation des usages. En témoigne, par exemple, l’émergence de parlers urbains à vocation nationale en Afrique (Manessy, 1994). La ville a également partie liée avec le contexte social de production des discours et doit être considérée comme une « matrice socio-discursive » (Bulot et Veschambre, 2004, 2006). Sous cet angle, elle n’est pas définie exclusivement par son éventuel plurilinguisme et sa structuration socio-spatiale mais aussi par les « mises en mots » de l’espace, par les discours qui s’élaborent et circulent en son sein et à son sujet, à travers une série de marques de différentes natures. Parmi ces marques, les traces mémorielles investissent les productions verbales comme la toponymie, les complexes architecturaux, les formes d’expression culturelles, entre autres. De ce fait, la mémoire coloniale est particulièrement prégnante en Afrique francophone.
Sur une base visant à articuler ces différents phénomènes dans une perspective interdisciplinaire qui associe la sociolinguistique urbaine, l’analyse du discours, la socio-sémiotique, la sociologie urbaine, la psychologie sociale, la géographie sociale, la ville apparaît comme un espace singulier, compartimenté en lieux habités et en lieux d’activités sociales, organisatrice de pratiques socio-langagières, qui sont à la source de création et de transformation d’usages linguistiques, de constructions discursives et culturelles diversifiées et plus ou moins antagonistes.
Le 8e colloque du Réseau Discours d’Afrique se propose d’étudier la covariance entre langue et société dans l’espace francophone en vue de cerner le champ de l’urbanité langagière. Il vise à engager une réflexion sur les relations entre structurations socio-spatiales, stratifications sociolinguistiques, attitudes langagières et appropriation discursives. En transversale à l’ensemble des thèmes retenus, il met un accent particulier sur la mémoire urbaine, particulièrement la mémoire coloniale, comme avatar spécifique de marquage et circulation discursive. Les contributions issues des disciplines des sciences du langage, des sciences humaines et des sciences de l’information-communication pourront traiter les thèmes suivants :
Epistémologie de l’urbanité langagière
Pour aborder la réflexion sur l’« urbanité langagière » et/ou la constituer en champ de recherche, quelles disciplines ou quels croisements disciplinaires interviennent ? Sémiotique (Lamizet, 2002, Klinkenberg, 2015), analyse du discours (Boutet, Maingueneau, 2005), géographie sociale (Mondada, 2003), sociolinguistique urbaine dans le sillage des travaux de Calvet (1994, 2005), de Bulot et alii (2003, 2004, 2005, 2010, 2011) ? Quels concepts émergent ou sont redéfinis (tel celui de marquage par ex.) ? Quelles méthodologies sont adoptées (enquêtes de terrain, recueil d’archives, analyse du discours, ……) ? Concernant la réflexion sur la mémoire coloniale, quels infléchissements ou articulations spécifiques convient-il d’envisager ? Peut-on parler d’une spécificité épistémologique concernant les terrains de l’espace francophone en Afrique ? Comment procéder à la collecte des observables en vue d’étudier la ville comme « matrice sociodiscursive », comme espace de coexistence et de tensions identitaires plus ou moins fortes en prenant en considération la densité de leurs manifestations dans le cadre d’une approche inter et pluridisciplinaire ?
Langues en usage et usage des langues
Quelles sont les formes, les statuts et les domaines d’usage des langues pratiquées ? Quels sont les effets de l’urbanisation sur l’usage des langues (créations, transformations, emprunts, mixités, régularisation des formes irrégulières, etc.) ? Quels sont les rapports entre les langues en usage dans les villes plurilingues de l’espace francophone, dans telle ville d’Afrique en particulier ou comparativement ? Comment expliquer le rapport entre l’émergence locale de parlers et leur distribution sur tout le territoire urbain (Labov, 1978) ?
Identités socio-langagières
Dans la mesure où l’« identité sociale apparaît toujours en premier lieu dans et par l’espace » (Cavaillé, 1999 : 15), quels en sont les signes d’appartenance ? Quelles activités sociales (marchés, commerces, administrations, entre autres) quels modes d’habiter sont associés à quels lieux et à quelles variétés linguistiques ? Quelles sont les variétés spécifiques aux quartiers populaires ? Quelle est la relation entre la différenciation des parlers, celle des espaces, celle des rapports sociaux, des situations et des activités ? Quels sont les processus de constitution et de séparation des activités et des groupes sociaux dans la ville – tout particulièrement dans certains lieux de ségrégation sociale – et les effets réciproques de ces discontinuités sur les parlers ? Quelles sont les normes de comportements attendus selon les communautés et les catégories sociales ? Comment interviennent la valorisation/ stigmatisation des lieux et des parlers ?
Relations ville–lexique-discours
Comment les espaces sont-ils nommés ? Comment les actes de nomination (noms propres et noms communs) participent-ils aux catégorisations spatiales urbaines ? Comment traduisent-ils des points de vue sociaux ? Comment des vocables deviennent-ils des « mots de la ville » sur la base de regroupements stables de discours sociaux ? Comment s’organisent, évoluent et ont évolué la toponymie et l’odonymie (noms des rues, des places, des quartiers, des communes) ? Comment s’est opérée, notamment, la rebaptisation des rues et places datant de la colonisation française et/ou due à des changements de régime politique ? Dans ce cadre les corpus constitués à partir d’archives municipales et d’émissions radiophoniques, par exemple, peuvent fournir une foulée d’informations permettant d’approfondir la réflexion sur ce Thème.
Registres discursifs de l’urbain
Comment les discours font-il état des appropriations de l’espace ? Comment se manifeste le registre discursif de l’urbain entendu comme « un ensemble de discours spécifiques à des rapports sociaux particuliers, où des énoncés et des mots prennent sens », « une accumulation de textes dans un même voisinage » (Achard, 1995 : 84) ? Quelles appropriations discursives différenciées de l’espace émanent de communautés différentes ? Quelles sont les attitudes linguistiques et (méta)langagières qui se font jour ? Comment mettre en regard les discours officiels ou administratifs des autorités et ceux des habitants ? Quels actes de parole spécifiquement urbains ou non organisent le(s) registre(s) urbains ? Comment se construisent et se diffusent les récits liés à la ville, particulièrement ceux en relation avec la mémoire coloniale ou culturelle ? En plus des archives, comme objets d’étude, la réflexion peut porter un regard sur la relation qui se tisse entre mouvements politiques, ségrégation et répartition spatiale des communautés ethniques surtout dans les capitales africaines.
Cultures urbaines émergentes
Quelles relations peut-on établir entre les pratiques linguistiques et les pratiques culturelles et communicationnelles telles que les parlers de jeunes, les usages des réseaux sociaux, les pratiques musicales et scripturales (écrits urbains), voire l’art des rues sous ses différents aspects ? Comment les parlers des jeunes (par exemple le nouchi et le zouglou en Côte d’Ivoire) s’intègrent-ils aux pratiques culturelles ou les impulsent-ils ? Ces parlers sont-ils des vecteurs d’appropriation de l’espace et/ou des marqueurs de nouvelles formes d’exclusion ? Comment appréhender les contacts et les échanges linguistiques déterritorialisés (médias, internet, etc.) et leurs effets à la fois sur la ville (par la modification des circuits d’échanges, de la circulation des hommes et des discours) et sur les formes de parlers ? Quels sont les modes d’expression et de réception des langages urbains dans leur variété sémiotique, particulièrement iconique (fresques, peintures murales, graffitis, comme par exemple c’est le cas à Cotonou au Benin) ?
Comment les pratiques de nomination (odonymes, toponymes urbains) plus ou moins stabilisées investissent-elles le paysage linguistique urbain ? Comment les inscriptions urbaines participent-elles aux conflits sociaux et politiques et/ou en conservent-elles la mémoire (pancartes, slogans, graffitis correspondant aux mouvements sociaux comme par ex. le Hirak en Algérie) ? Quelles sont les traces de l’implantation coloniale, des mouvements migratoires, des cultures locales dans la signalétique, mais aussi dans formes architecturales et les héritages patrimonialisés ? Quels sont les modes de marquage de ces mémoires plus ou moins concurrentes à travers la fabrication, la réutilisation (voire la destruction) de repères signifiants (bornes, barrières, pancartes, graffitis, sculptures, monuments…) ? Quels points de vue sociaux, politiques et urbanistiques sont manifestés par ces marquages ?
À tous et toutes les chercheurs et chercheuses de Plurielles, nous souhaitons une lumineuse année 2022 !Que le lancement de notre équipe rayonne de vos découvertes.Sans oublier de vous garder tous et
Journée d’études internationale interdisciplinaire, Université Bordeaux Montaigneorganisée par Marie-Lise Paoli et Géraldine Puccini« Qui ne dit mot consent » : dits et non-dits des dés