L’Afrique est un continent aux expériences historiques et culturelles diversifiées, aux contextes politiques, économiques et sociaux variés. Bien qu’il présente des similitudes afférentes à son passé colonial, ce contient incarne également des disparités culturelles, politiques et économiques, notamment en matière de développement humain et d’égalités de genre. L’histoire des femmes africaines, comme celles des peuples, continuent de représenter cette diversité, en dépit des tendances à l’uniformisation qu’apportent les processus de mondialisation. Dans la majorité des pays africains, il est possible de tracer les grandes lignes d’un état des lieux du genre dans sa complexité et ses contradictions.
En effet, les normes sociales traditionnelles, culturelles, religieuses concourent à jouer un rôle déterminant dans la perpétuation des inégalités liées au genre. Un rapport récent de l’ONU sur l’Afrique subsaharienne déclare que « la perpétuation des inégalités de revenus, de santé et d’éducation est liée à des combinaisons complexes de normes sociales et de modes de prestation de services discriminatoires… »[1]. Ainsi, les discriminations liées au genre sont dues aux normes sociales dans le milieu familial (mariage précoce, inégalité en héritage, excision, non-scolarisation des filles), avec à l’intégrité physique restreinte, les préjugés en faveur du masculin, l’accès réduit aux ressources et aux biens et la limitation des libertés. Les manifestations les plus flagrantes se donnent à voir lors des guerres inter-ethniques, dans les discours et les pratiques liées à la montée du radicalisme et la perpétuation de traditions archaïques telles les mutilations génitales, entre autres.
Néanmoins, une prise de conscience aux niveaux étatiques reconnaît l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes comme étant des objectifs prioritaires dans les nouveaux discours et scénarii de transformation structurelle et de développement durable de l'Afrique (African union commission 2015) visant à atteindre une croissance inclusive et diversifiée. En outre, les chefs d'État et de gouvernement africains ont proclamé 2015, « Année de l'autonomisation des femmes et du développement pour la concrétisation de l'Agenda 2063 » et l’année 2016 « Année africaine des droits de l'homme avec un accent particulier sur les droits de la femme ». « En Afrique, l'étude des rapports des sexes et le pouvoir des femmes sont au cœur de l'évaluation des efforts de développement » (P. Stamp 1990).
Trop longtemps marginalisée, la question du genre s'est lentement imposée dans les différents discours en circulation en Afrique. Désignant aussi bien la construction historique, culturelle et sociale du sexe (Fougeyrollas-Schwebel et al., 2003), les arrangements sociaux de la différence sexuée (Scott, 1986) ou les actes performatifs qui « font le genre » (Butler, 2005 ; West, Zimmerman, 1987). Le genre rend compte des principes et des modes de construction des féminités et des masculinités et sert de fondements à la hiérarchisation des sexes. Dans le mouvement de construction et de déstructuration des paradigmes et partant de l'identification des trois grands rôles de reproduction, de production et de gestion assumés par les femmes dans la société, ont été développées plusieurs théories visant à abolir le règne multi-séculaire de l’ordre patriarcal et les conséquences néfastes de la hiérarchisation des sexes. En Afrique, au biais andro-centriste à connotation universaliste, s’ajoute une distorsion ethnocentriste des théories dominantes et des principaux paradigmes qui ancrent les conceptualisations et les théorisations en dehors de l’Afrique (Touré, 2018). Les populations africaines sont ainsi l’objet d'un arsenal de théories relevant de logiques qui leur sont extérieures (Touré, 2018).
L’on reproche à l’élite africaine de ne pas s’être dotée d’un appareil théorique à même de rendre compte d’une réalité propre à l’Afrique. La connaissance de la situation de la femme et des relations entre les sexes en général est demeurée plutôt fragmentaire", constate P Stamp (1990 : 12) qui soulève, ainsi, un aspect fondamental de la « nouvelle division du travail intellectuel » entre nord et sud. Toutefois, des stratégies de résistance et/ou de récupération du discours savant que l'on tient sur les populations africaines prennent forme. De nouvelles voix émergent pour réfléchir et militer en faveur d’une égalité de genre. Des intellectuels africains (femmes et hommes) prennent de plus en plus la parole, pour offrir des lectures de leurs propres réalités, en empruntant le même cheminement que certains courants féministes occidentaux qui ont revendiqué la relativisation des analyses et le droit de définir les modalités de leur propre lutte. Ils ont réussi à subvertir le monopole universaliste sur la théorisation, de façon à asseoir les bases d’un "nouvel ordre intellectuel" (Touré, 2018). De nouveaux discours voient le jour et interrogent les spécificités culturelles, historiques, politiques sous-tendant la question du genre.
L’enjeu principal de cette septième édition des colloques du Réseau Discours d’Afrique est de susciter des échanges sur les problématiques du genre sous le prisme du discours. Toutes les disciplines concernées par le colloque (Sciences du langage, Sciences de l’information et de la communication, Littérature et Sciences Humaines et Sociales) sont invitées à explorer plusieurs pistes au cours de ces rencontres scientifiques. Ainsi, pourront être examinés les thèmes suivants :
Le genre et l’identité sexuelle sont avant tout des constructions sociales et idéologiques qui rencontrent leur matérialité, entre autres, dans les discours. Les productions langagières contribuent à la genèse des inégalités, en participant à la réification des catégories tout comme en créant de nouvelles. Il serait dans cette perspective, judicieux d’examiner les différents discours en circulation en Afrique et les liens complexes tissés entre langage et genre, en mettant l’accent sur les aspects historique, politique et social des pratiques langagières.
Au commencement du troisième millénaire caractérisé par des développements vertigineux des produits, technologies et institutions médiatiques (K. Ross, 2009), il devient essentiel de réexaminer les pratiques langagières et discursives dans l’espace public mais aussi dans les différentes institutions de socialisation au sein desquelles la hiérarchisation génère des inégalités : de la sphère familiale à l’école, en passant par la pratique sportive ou le loisir, jusqu’au monde du travail. Quels sont les dispositifs de jonction des codes culturels, linguistiques pour approcher la problématique du genre ? Quelle est l’importance de la coémergence des figures de discours (Bonhomme, 2006) et celle de leur fonction performative (Butler 1990) ?
Au nom de la spécificité culturelle, de l'historicité des rapports de sexe et de la pluralité des formes de domination, des femmes du continent africain ont revendiqué leur droit de définir les modalités de leur propre analyse. Des auteurs comme Okeyo, 1980 ; Ladipo, 1981 ; Mutemba 1982 a ; Mbilinyi 1984 ; Afonja 1986a, b ; et Amadiume 1987, qui ont étudié les relations de genre dans différentes sociétés africaines ont procédé à une critique des concepts classiques des sciences humaines et sociales. En dépit du caractère surtout empirique de leurs études, ils ont fourni les bases théoriques d'une contestation de certaines hypothèses épistémologiques s’appuyant sur le postulat de l'universalité des réalités économiques et politiques qui sous-tendent les rapports entre les sexes. D’autres (Mernissi 1987, 2001, Lamrabet 2012, 2016) revisitent la tradition religieuse et le patrimoine culturel pour déconstruire le paradigme de l’universalité de la hiérarchisation des sexes et des théorisations occidentales. En Afrique comme partout ailleurs, la nature intersectionnelle de la ségrégation (rapports de classe, de race, d’ethnie, de sexe...), le néolibéralisme, structure en effet, la société. Elle influence la manière dont les femmes définissent leurs priorités d'action et de revendication ou déterminent simplement la dimension de leur identité qu'elles veulent mettre en avant. "La subordination des femmes n'est pas seulement vue comme un problème d'hommes mais aussi une situation qui découle de la domination coloniale et néocoloniale". (Moser 1993 : 74). D’où le besoin de « décoloniser » la pensée et la recherche dans une logique postcoloniale (Sow, 2012).
Les études de genre développent des perspectives théoriques complexes, des méthodologies innovantes transformées en pratiques (recherche-action par exemple). Se posent alors les questions suivantes : Quelles formes prennent la désoccidentalisation de la recherche et la dénaturalisation de la « valence différentielle des sexes » (F. Héritier), en construisant de nouvelles pratiques discursives dans le discours de genre en Afrique francophone ? Quels sont les renouvellements théoriques et méthodologiques dans le champ de l’analyse de discours féministe et de genre ? Comment « décoloniser » la recherche et déconstruire des catégories venues de l’Occident ? Quel usage y fait-on de concepts opératoires tels l’intersectionnalité, les savoirs situés, la performativité ? Quels appareils théoriques sont-ils adaptés au discours sur la dichotomie féminin/masculin en Afrique francophone ?
En se focalisant l’attention sur l’analyse des pratiques et des stratégies discursives des médias conjugués aux problématiques de genre les lieux, les modes et les dispositifs d’expression des nouveaux discours féministes et de genre en Afrique constituent un champ fertile d’investigation. Quelles sont les caractéristiques de la diffusion des questions féministes et de genres dans le contexte africain francophone ? Comment se présentent les pratiques genrées de la presse en ligne, les cybertextes, les blogs et vlogs ? Quel est impact de la transformation des pratiques médiatiques par l’incorporation des nouvelles routines dans la vie professionnelle ainsi que dans la vie privée ? Quelles sont les modalités de l’usage du net dans les cultures de la protestation du genre ? Quelles sont les thématiques et les modes d’organisation du discours (narrativité, argumentativité, description) au cinéma, à la télévision mais aussi dans les nouveaux médias (sites web, télés sur le net, réseaux sociaux) ? Comment s’articule sur le plan iconique la représentation des sexes différents dans les arts visuels et quelles connotations suggère-t-elle ? Quel est l’impact du web sur la défense de l’égalité entre les sexes, notamment dans les réseaux sociaux ? Quel est l’effet, en termes de variation, des modes de médiation/médiatisation, sur ces nouveaux discours égalitaires ?
L’explosion du mouvement des droits des femmes en Afrique, à partir des années 1980-1990 est due à la conjugaison de plusieurs facteurs. La Décennie des Nations unies pour les femmes en a été un des facteurs déterminants. Mais, les pays africains ne représentent pas le même état des lieux quant à la représentation du féminin en politique. La « politique » inclut ici aussi bien les pratiques liées à l’exercice d’un mandat que le militantisme ou encore les mobilisations pour la défense d’une cause. Il serait particulièrement fécond d’étudier au niveau des pratiques discursives la manière dont les agent.e.s préservent, créent ou déjouent les rapports de domination en contexte. Quelles sont les formes discursives des identités genrées en politique ? Peut-on d’ailleurs considérer le genre comme une ressource politique en Afrique francophone ? Qu’il s’agisse des ressources collectives (militantisme politique et associatif), ou encore individuelles (âge, appartenance sociale ou origine ethnique), comment les femmes mobilisent-elles différentes ressources dans le champ politique africain ? Quels sont les nouveaux modes d’expression des associations de défense des droits des femmes, et comment catégoriser ces nouvelles voix militant en faveur de l’égalité du genre en Afrique francophone ? Comment se redéfinissent et se reconfigurent la masculinité et la féminité dans la vie sociale et en discours ? Quelles sont les possibilités dont les sujets disposent pour déstabiliser, transformer, transgresser, les limites d’action sexuée (Buscatto, Leontsini, 2011a, 2011b) ?
Ecriture du féminin et du masculin en littérature africaine
Outre une production foisonnante, la reconnaissance de grands prix littéraires comme Calixthe Beyala et Marie Ndiaye a consacré l’apport des femmes à la littérature africaine. Des auteures africaines mettent en jeu la problématique du Sujet féminin et sa centralité dans le jeu narratif. La question de l’intimité et de l’extimité du féminin que S. Tisseron désigne comme étant le « processus par lequel des fragments du soi intime sont proposés au regard d’autrui » (Tisseron, S. 2011), pose les fondements d’une écriture dont la représentation de la condition des femmes imprime des identifications afférentes (féminisme-s, féminité, identité féminine…) leur parole devenant « action » (Sartre). Comment l’écriture de l’intime traduit-elle la voix des « sans voix » ?
Comment se fait l’investissement par le discours féministe littéraire des évènements douloureux ? Quels sont les traits et les enjeux du langage féministe postcolonial marqué par une aptitude, « à lire les représentations des femmes en littérature en prêtant attention à la fois au sujet et au moyen de la représentation » (Barhi 2010 : 27-54)
La littérature africaine francophone, qu’elle soit écrite par des femmes ou des hommes, en tant que véhicule de la critique sociale et politique, s’est penchée sur la problématique du genre. Comment le discours des droits des femmes est-il véhiculé dans l’expression littéraire ? Comment agissent les postures auctoriales critiques de genre dans l’écriture littéraire francophone ? Comment interviennent l’hybridation des genres et des modes de discours par intertextualité / intersémioticité / plurimodalité dans la formulation d’une vision égalitaire du monde ? Quels usages sont faits des techniques narratives (l’intertextualité, l’ironie, la parodie, le langage subversif) ?
Sur la base des considérations précédentes, il est primordial de reconsidérer les méthodologies d’analyse et les questions qu’elles suscitent. En d’autres termes, quels cadres théoriques sont-ils adaptés à la réflexion sur les discours féministes et de genre en Afrique francophone ? Quels renouvellements méthodologiques sont-ils nécessaires pour une analyse efficiente du discours féministe et celle de genre ? Enfin selon quelles modalités le recours aux logiciels d’exploration textuelle (TXM, Iramuteq, Hyperbase etc…) et ceux de mesure acoustique serait-il efficace pour les corpus oraux des discours sur le genre ?
À tous et toutes les chercheurs et chercheuses de Plurielles, nous souhaitons une lumineuse année 2022 !Que le lancement de notre équipe rayonne de vos découvertes.Sans oublier de vous garder tous et
Journée d’études internationale interdisciplinaire, Université Bordeaux Montaigneorganisée par Marie-Lise Paoli et Géraldine Puccini« Qui ne dit mot consent » : dits et non-dits des dés