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Thèse en cours Intelligences du réel : on n'y voit rien - Un siècle de trompe-l’œil dans les fictions de Vladimir Nabokov et Kazuo Ishiguro (1921-2021)

Sous la direction de :
Isabelle Poulin
Co-directeurs ou directeurs externes : Paul Veyret

Sur le modèle du trompe-l’œil pictural, la thèse envisage le trompe-l’œil narratif comme une fiction qui se nie comme fiction, ou se présente sous des dehors trompeurs et fallacieux. Qu’ils prennent la forme d’œuvres picturales et de dispositifs optiques auxquels les personnages sont confrontés, ou de narrateurs non-fiables qui manipulent le lecteur, les trompe-l’œil abondent dans les romans de Vladimir Nabokov et de Kazuo Ishiguro, ce qui incite à s’interroger sur la spécificité du « regard de l’étranger » propre à ces deux écrivains ayant l’exil en héritage. L’hypothèse de travail est que ces deux écrivains venus d’ailleurs, qui se tiennent à l’écart des cadres culturels nationaux, construisent leurs fictions en trompe-l’œil afin d’interroger un rapport au réel instable et pluriel. Le choix d’un empan chronologique large permet de saisir les métamorphoses d’un dispositif qui reflète des crises propres à chaque époque, sur fond de bouleversements politiques, technologiques et éthiques. La thèse tente ainsi d’éclairer la manière dont ces deux auteurs confrontent leurs lecteurs à des trompe-l’œil narratifs pour les amener à en déjouer les mécanismes, et faire de la lecture le support d’une intelligence du réel (« intelligence » comme faculté de discernement, mais aussi capacité de résoudre un problème, donc de comprendre le complexe, le nouveau, l’altérité radicale). Un premier axe de travail consiste à étudier les trompe-l’œil présents dans les romans, en établir une typologie, et à éclairer la manière dont ces dispositifs optiques, qui brouillent ou déforment le réel, s’articulent avec les discours trompeurs des narrateurs qui induisent une perception biaisée du monde de la fiction. Un second axe envisage le trompe-l’œil du point de vue de la réception afin de retracer, à la manière de l’historien de l’art Daniel Arasse dans On n’y voit rien !, des aventures du regard : il s’agit de mettre en lumière un « effet trompe-l’œil » qui naîtrait dans le regard du lecteur. En effet, les romans de nos deux auteurs, pétris d’intertextualité, déploient un jeu fécond avec l’imaginaire de leurs lecteurs, qui conduit souvent à des effets d’attente trompée. L’inscription de nos deux auteurs dans un espace plurilingue incitera enfin à dégager les enjeux du trompe-l’œil du point de vue du langage et de la traduction. L’étude s’appuiera sur la lecture en langue originale du corpus bilingue de Vladimir Nabokov ainsi que sur une analyse de ses pratiques d’auto-traduction du russe vers l’anglais. En ce qui concerne Ishiguro, une étude génétique des brouillons conservés au Harry Ransom Center d’Austin au Texas est prévue, afin de retracer la genèse du trompe-l’œil narratif et la stratégie auctoriale d’élaboration d’une langue qui « cache plus qu’elle ne révèle ».